Reconnaissance des jugements étrangers et attentat : la France est-elle un refuge pour les Etats qui financent le terrorisme ? (M [P] [X] v République islamique d'Iran) - Cour de cassation 28 juin 2023, Pourvoi n°21-19.766
Cette analyse a été publiée pour la première fois sur Lexis+® UK le 24 juillet 2023 et peut être consultée ici (abonnement requis)
Analyse de l'arbitrage : Dans son arrêt du 28 juin 2023, la Cour de cassation confirme la jurisprudence actuelle selon laquelle trois conditions doivent être réunies pour accorder l'exequatur à une décision judiciaire étrangère, en l'absence de convention internationale. Appliquant l'article 509 du code de procédure civile français et ayant préalablement vérifié la recevabilité de l'action, le juge français doit s'assurer que trois conditions sont réunies (la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige à la juridiction qui a rendu la décision, le respect de l'ordre public international matériel et procédural, et l'absence de fraude). Dans la seconde partie de sa décision, la Cour de cassation confirme également que les juridictions françaises doivent s'abstenir de contrôler le bien-fondé de la décision du juge étranger, mais que lorsqu'un État étranger invoque une immunité de juridiction, cette cause de recevabilité doit être tranchée en premier lieu, indépendamment des constatations du juge étranger qui, appliquant son propre droit, a déjà statué sur l'exception d'irrecevabilité. À ces conclusions assez classiques, la Cour de cassation ajoute une analyse intrigante selon laquelle, à supposer que l'interdiction des actes de terrorisme puisse constituer une norme de jus cogens du droit international, qui n'est pas établie par l'état actuel du droit international, il ne peut être fait exception à l'immunité d'un État, lorsqu'il n'est pas prouvé que l'État et ses agents ont été directement impliqués dans un attentat terroriste, mais ont seulement fourni une assistance matérielle ou financière aux auteurs de l'attentat. Cela soulève la question de savoir si la France doit être considérée comme un refuge pour les États qui financent le terrorisme.
Rédigé par Christophe Dugué, avocat au barreau de Paris, Christophe Dugué-International Arbitration.
M [P] [X] c République islamique d'Iran Pourvoi n°21-19.766
Quelles sont les implications pratiques de cette affaire ?
Le premier enseignement de cette décision est la confirmation claire de la jurisprudence existante concernant l'exequatur d'une décision judiciaire étrangère, en l'absence d'une convention internationale.
L'article 509 du code de procédure civile français dispose que "les jugements rendus par les tribunaux étrangers et les actes reçus par les officiers étrangers sont exécutoires sur le territoire de la République de la manière et dans les cas prévus par la loi". Le nombre de conditions posées par la Cour de cassation a évolué dans le temps et a été ramené de cinq à trois (Munzer, Civ 1, 7 janvier 1964, cinq conditions ; Bachir, Civ 1, 4 octobre 1967 : quatre conditions, la régularité de la procédure étant considérée comme faisant partie du contrôle du respect de l'ordre public international ; Cornelissen, Civ 1, 20 février 2007, n° 05 14 082, trois conditions, avec l'abandon de la quatrième condition selon laquelle la loi appliquée par le juge étranger est celle désignée par les règles françaises de conflit de lois). Dans cet arrêt du 28 juin 2023, la Cour de cassation confirme sa position selon laquelle, en application de l'article 509 du code de procédure civile, le juge français, après avoir préalablement vérifié la recevabilité de l'action, doit rechercher si trois conditions cumulatives sont réunies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige à la juridiction qui a rendu la décision, le respect de l'ordre public international de fond et de procédure, et l'absence de fraude.
Le deuxième enseignement concerne la confirmation des principes applicables lorsque l'exception d'immunité de juridiction est soulevée devant les juridictions françaises, même si elle a déjà été soulevée devant la juridiction étrangère
Dans le cadre d'une procédure d'exequatur, le juge français doit s'abstenir de contrôler le bien-fondé de la décision du juge étranger. Toutefois, lorsqu'un État étranger invoque une immunité de juridiction, il doit se prononcer en premier lieu sur cette cause de recevabilité, indépendamment des constatations du juge étranger qui, appliquant déjà son propre droit, a écarté l'exception d'irrecevabilité. À cet égard, la Cour de cassation juge que le fait que le juge étranger qui a rendu la décision ait décidé, en vertu de son propre droit, d'écarter l'immunité de juridiction de l'État ne dispense pas le juge français d'exercer son propre pouvoir juridictionnel pour statuer, de manière autonome, sur l'exception d'irrecevabilité fondée sur l'immunité de juridiction soulevée devant lui.
Enfin, la jurisprudence française pose désormais la question de savoir si la France est un havre de paix pour les Etats qui financent ou soutiennent matériellement le terrorisme. Avec pour conséquence que les justiciables confrontés à des faits similaires devront bien réfléchir avant d'entamer une procédure d'exequatur devant les juridictions françaises
La dernière partie de l'analyse de la Cour de cassation laisse perplexe. La Cour de cassation a estimé qu'une cour d'appel a raison de considérer que lorsque le jugement étranger porte sur le paiement par un État de dommages-intérêts au titre de la responsabilité civile en raison du soutien financier apporté par un État à des actes de terrorisme, et qu'il n'est pas fondé sur des preuves de l'implication directe de cet État et de ses agents dans un attentat terroriste, ces circonstances ne constituent pas une restriction légitime à son immunité de juridiction.
Cette subtile différenciation entre niveaux et degrés d'implication dans les actes terroristes ne soulève-t-elle pas une question beaucoup plus directe : la France est-elle devenue un havre de paix pour les États qui financent le terrorisme ?
Quel était le contexte ?
Les faits
L'affaire concerne la procédure d'exécution en France d'un jugement du 11 mars 1998, rendu par le tribunal de district des États-Unis pour le district de Columbia, condamnant la République islamique d'Iran, le ministère iranien de l'information et de la sécurité, ainsi qu'un certain nombre de personnes à verser des dommages-intérêts pour le préjudice subi par une personne physique (le demandeur, agissant à titre personnel et au nom de la succession), résultant du décès, en Israël, de la fille du demandeur à la suite d'un attentat terroriste commis à l'aide d'un véhicule chargé d'explosifs et revendiqué par une faction palestinienne du Djihad islamique.
Procédures d'exécution en France
Le demandeur a demandé l'exequatur de la décision de la US District Court en France, puis a déposé une demande d'annulation de la décision de la Cour d'appel du 16 mars 2021, qui a estimé que la République islamique d'Iran était en droit d'invoquer l'immunité de juridiction et, par conséquent, a déclaré la demande d'exequatur irrecevable.
Questions à trancher par la Cour de cassation
Pour étayer sa demande devant la Cour de cassation, le requérant a invoqué une série d'arguments :
- tout d'abord, le juge de l'exequatur ne peut pas contrôler le bien-fondé d'une décision étrangère. La Cour d'appel a apprécié à nouveau la recevabilité et le bien-fondé de l'immunité de juridiction de l'Etat d'Iran et l'a jugée recevable et fondée, alors que la US District Court avait écarté l'immunité de juridiction de l'Iran, en vertu de son propre droit. La Cour d'appel a ainsi méconnu le principe d'interdiction de révision au fond des décisions étrangères, violé l'article 509 du Code de procédure civile français et excédé son pouvoir juridictionnel ;
- deuxièmement, les États étrangers ne bénéficient de l'immunité de juridiction que pour les actes qui, par leur nature ou leur but, sont liés à l'exercice de la souveraineté de l'État, ce qui ne peut être le cas lorsqu'un État participe à la préparation et à la mise en œuvre d'actes de terrorisme ;
- troisièmement, et en tout état de cause, l'interdiction des actes de terrorisme constitue une norme impérative du droit international, dont la nature même doit absolument exclure l'invocation de l'immunité de juridiction par un État jugé responsable d'avoir participé activement à de tels actes ;
- quatrièmement, l'impossibilité d'obtenir en France la reconnaissance d'une décision condamnant un État tenu pour responsable d'un attentat terroriste constitue une violation du droit français et porte atteinte au droit d'accès à un tribunal consacré par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui ne peut être limité par le principe de l'immunité de juridiction des États étrangers ;
- cinquièmement, il est du devoir du juge de ne pas déformer les documents versés au dossier. La Cour d'appel a estimé que les circonstances de l'affaire ne sont pas fondées sur la responsabilité pénale de l'implication directe de l'État d'Iran et de ses agents dans un attentat terroriste alors que le jugement de la US District Court du 11 mars 1998 a estimé que "l'explosion a été causée par une bombe qui avait été délibérément placée dans le bus par un membre de la faction de [G] du Jihad islamique palestinien agissant sous les instructions des défendeurs, [en particulier] de la République islamique d'Iran". La Cour d'appel a donc déformé les termes de l'arrêt de la US District Court en violation de cette obligation.
Quelle a été la décision de la Cour ?
L'arrêt du 28 juin 2023 de la Cour de cassation française vient confirmer plusieurs principes applicables à la procédure d'exequatur. Tout d'abord, trois conditions cumulatives doivent être réunies pour accorder l'exequatur à une décision judiciaire étrangère, en l'absence de convention internationale. En application de l'article 509 du code de procédure civile français, le juge français, après avoir vérifié la recevabilité de l'action, doit déterminer la compétence indirecte du juge étranger en fonction du rattachement du litige à la juridiction qui a rendu la décision, du respect de l'ordre public international de fond et de procédure et de l'absence de fraude. En second lieu, dans le cadre d'une procédure d'exequatur, le juge français doit s'abstenir de contrôler le bien-fondé de la décision du juge étranger, mais lorsque l'État étranger invoque une immunité de juridiction, il doit se prononcer en premier lieu sur cette cause de recevabilité, indépendamment des constatations du juge étranger qui, appliquant son propre droit, s'est déjà prononcé sur l'exception d'irrecevabilité. En troisième lieu, les États étrangers bénéficient de l'immunité de juridiction lorsque l'acte à l'origine du litige relève, par sa nature ou sa finalité, de l'exercice de leur souveraineté et n'est donc pas un acte de gestion.
En ce qui concerne les arguments spécifiques à l'affaire, la Cour de cassation a confirmé l'analyse de l'affaire par la Cour d'appel. Tout d'abord, à supposer que l'interdiction des actes de terrorisme puisse constituer une norme de jus cogens du droit international susceptible de constituer une restriction légitime à l'immunité de juridiction, ce qui ne résulte pas de l'état actuel du droit international, la Cour d'appel a estimé à juste titre que les faits de l'espèce ne permettaient pas de faire une exception à cette immunité, puisque l'octroi de dommages-intérêts par la US District Court n'était pas fondé sur la preuve de l'implication directe de l'État d'Iran et de ses agents dans l'attentat, mais simplement sur sa responsabilité civile pour l'aide ou les ressources matérielles fournies au groupe qui a revendiqué l'attentat terroriste. En second lieu, la Cour d'appel a retenu à juste titre que les actes à l'origine du litige entre le requérant et la République islamique d'Iran, consistant en un soutien financier apporté à un groupe terroriste ayant commis un attentat suicide au cours duquel la fille du requérant a été tuée, n'étaient pas des actes de gestion de cet Etat et la Cour d'appel a pu constater à bon droit, sans dénaturation, que la République islamique d'Iran pouvait se prévaloir de son immunité de juridiction. Quant au droit d'accès à un tribunal garanti par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont l'exécution d'une décision de justice est le prolongement nécessaire, la Cour de cassation a jugé qu'il ne s'oppose pas à une limitation de ce droit, résultant de l'immunité des États étrangers, lorsque cette limitation est consacrée par le droit international et n'excède pas les règles généralement reconnues en matière d'immunité des États.
Détails de l'affaire
- Cour : Cour de cassation
- Juges : M. Chauvin, président, M. Ancel, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseillère principale, MM. Hascher, Bruyère, conseillers, Mme Kloda, Dumas, Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires
- Date de l'arrêt : 28 juin 2023
Christophe Dugué, avocat, inscrit au barreau de Paris, Christophe Dugué-International Arbitration. Si vous avez des questions concernant l'adhésion à nos groupes d'experts en analyse de cas, veuillez contacter caseanalysiscommissioning@lexisnexis.co.uk.