CHRISTOPHE DUGUE
Avocat Arbitrage international à Paris 8
 

CHRISTOPHE DUGUÉ - AVOCAT - ARBITRAGE INTERNATIONAL - PARIS FRANCE

 
 

Hommage à Emmanuel Gaillard - 1952-2021


Hommage à Emmanuel Gaillard - 1952-2021

In Honorem Emmanuel Gaillard - 1952-2021

Un totem, un monument, un géant, un génie, un maestro, un artiste, un intellect brillant, un bâtisseur, un leader ; un grand être humain et un ami, immensément charmant, avec un sourire malicieux, ironique ou énigmatique...[1].

Ce sont là quelques-uns des hommages rendus à Emmanuel Gaillard par de nombreux juristes d'arbitrage éminents, des universitaires, d'anciens étudiants, des collègues, d'anciens collègues et amis, des institutions et associations d'arbitrage, lorsque la nouvelle cataclysmique de son décès inattendu, le 1er avril 2021 à l'âge de 69 ans, est parvenue à la communauté de l'arbitrage international en France et dans le monde.

Tous ont déjà salué ses réalisations professionnelles et son humanité, et nous ressentons tous une immense perte, tant professionnelle que personnelle, et une tristesse inconsolable.

Pour beaucoup d'entre nous, Emmanuel Gaillard représentait l' arbitrage international et, à ce titre, nous le pensions immortel.

Il a consacré tout son temps et même sa vie à l'arbitrage international, en tant que penseur, praticien et mentor, qui a réuni toutes les qualités, celles d'un avocat, d'un juge et d'un érudit à un niveau inégalé.[2]

Sa contribution à l'arbitrage international a été sans limite, en tant que professeur, auteur d'un traité et d'innombrables publications, conférencier dans des universités et des conférences prestigieuses, en tant que conseil et arbitre, en tant que leader mondial de la pratique de l'arbitrage international de Shearman & Sterling pendant plus de 30 ans, et tout récemment en tant que fondateur de GBS Disputes, un cabinet international qu'il a créé avec ses partenaires pour "pratiquer l'arbitrage comme un art".[3]

Son génie a été de théoriser l'arbitrage international d'une manière cohérente et limpide en la rendant compatible avec la pratique quotidienne de la matière. Son influence ne se limite pas à la France mais s'étend à toute la communauté de l'arbitrage international.

Sa contribution doctrinale est immense, tout comme le vide qu'il laisse. Emmanuel a écrit sur tous les aspects de l'arbitrage international, a rédigé le traité de référence sur l'arbitrage commercial international[5], et a également beaucoup écrit sur l'arbitrage d'investissement[6].[6]

Pour illustrer sa vision, il a inventé, il y a trois décennies, le concept de l'effet négatif de la compétence-compétence, un concept qui semble évident pour beaucoup d'entre nous aujourd'hui[7] et qui "assure une relation harmonieuse entre l'ordre juridique arbitral et les ordres juridiques étatiques"[8].[8]

Plus récemment, il a soutenu, expliqué et systématisé la solution établie par la jurisprudence française pour reconnaître les sentences annulées au siège[9]. [Ceci était important et nécessaire pour que la sentence continue d'exister même si elle est annulée, car une sentence internationale n'est pas intégrée dans le système juridique de l'État où se trouve le siège : " laloi du siège de l'arbitrage n'est pas la seule source de validité d'une sentence arbitrale, la loi du lieu d'exécution étant également bien placée pour évaluer si une sentence doit être reconnue et exécutée. [...] Bien que cette approche rejette l'idée que la loi du siège de l'arbitrage constitue la source exclusive de validité de la sentence arbitrale, ce rejet va dans le sens de la reconnaissance du fait que la nature contraignante des sentences arbitrales provient des ordres juridiques des États, de la communauté des États disposés à reconnaître l'acte fondamentalement privé qu'est une sentence arbitrale". Comme le note l'un de ses collègues professeurs, l'analyse d'Emmanuel Gaillard est que cette solution a pour but de faire échec à "l'application à l'arbitrage d'une loi unique, la loi du siège, qui présente des dangers et est source d'injustice, notamment au regard du particularisme ou du conservatisme de certaines lois"[11]; en effet, l'une des conclusions d'Emmanuel est que la Convention de New York "invite les juridictions étatiques à exercer un contrôle sur la sentence elle-même, par opposition à la focalisation sur d'autres décisions judiciaires accessoires à la sentence"[12]. L 'une des contributions les plus récentes d'Emmanuel se concentre sur l'esprit pro-exécution de la Convention de New York, la pierre angulaire du système d'arbitrage international, et analyse en particulier le parti pris pro-exécution contenu dans ses articles III, V et VII(1)[13]. [13]

Emmanuel a été un "promoteur infatigable de la conception française de l'arbitrage international"[14]; il n'a pas simplement limité son influence à l'élaboration du droit français de l'arbitrage, mais a également contribué à diffuser le concept d'arbitrage international comme partie intégrante du droit transnational [15].[15]

De même, son analyse de la notion de lex mercatoria[16 ], à laquelle il a préféré l'expression de droit transnational ou de règles transnationales[17],et sa conclusion que le système des principes généraux ne peut être réduit à l'application d'une liste de règles, mais qu'il consiste plutôt en une méthode qui est un outil approprié pour résoudre tous les litiges découlant "des contrats que les parties ont voulu régir par une règle transnationale ou auxquels les arbitres choisissent d'appliquer des règles transnationales lorsque les parties n'ont pas choisi de loi applicable"[18], reste une source d'inspiration pour de nombreux universitaires et praticiens du monde entier[19].[19]

Emmanuel n'a jamais cessé de réfléchir à l'arbitrage international, tant dans sa doctrine que dans sa pratique. Que ce soit comme auteur ou comme conseil sur un dossier, Emmanuel a constamment recherché la plus grande clarté et la plus grande pédagogie. Il obtenait le meilleur des personnes qui travaillaient avec lui, et il était encore plus exigeant envers lui-même.

D'un point de vue plus personnel, outre sa contribution doctrinale et son rôle de mentor, ce qui me restera après toutes ces années, c'est simplement que j'ai aimé travailler avec lui, et que son sourire énigmatique et malicieux me manquera.[20]

Christophe Dugué [21]

 

[1] Voir, A Tribute to Emmanuel Gaillard, Kluwer Arbitration Blog, 16 avril 2021, disponible sur http://arbitrationblog.kluwerarbitration.com/2021/04/16/a-tribute-to-emmanuel-gaillard/ consulté le 17 juin 2021.

[2] Voir, Éric Teynier, in A Tribute to Emmanuel Gaillard, Kluwer Arbitration Blog, 16 avril 2021, disponible sur http://arbitrationblog.kluwerarbitration.com/2021/04/16/a-tribute-to-emmanuel-gaillard/ consulté le 17 juin 2021.

[3] Voir, le site de Gaillard Banifatemi Shelbaya Disputes : https://www.gbsdisputes.com/?gclid=EAIaIQobChMIzYn_zaaN8QIVgoXVCh3sOwBgEAAYASAAEgJ_p_D_BwE#aboutus consulté pour la dernière fois le 17 juin 2021.

[4] Voir, Professeur Ibrahim Fadlallah ("Le vide qu'il laisse est à la mesure de la place qu'il occupe,immense") dans son hommage à Emmanuel Gaillard, 6 avril 2021, disponible sur https://www.leclubdesjuristes.com/hommage/hommage-a-emmanuel-gaillard/ dernier accès le 17 juin 2021.

[5] Voir, Fouchard Gaillard Goldman on International Commercial Arbitration, deuxième édition révisée (en anglais), 1999, première publication en français en 1996.

[6] Emmanuel Gaillard a commenté la jurisprudence CIRDI pendant de nombreuses années depuis 1987 dans le Journal du Droit International ("Clunet").

[7] C'est ce que soulignent à la fois Philippe Pinsolle, dans son hommage à Emmanuel Gaillard, 7 avril 2021, disponible sur https://www.leclubdesjuristes.com/hommage/hommage-a-emmanuel-gaillard-par-philippe-pinsolle/, dernier accès le 17 juin 2021 ; et le professeur Jean-Baptiste Racine, dans son hommage à Emmanuel Gaillard dans le Journal du Droit International, n° 2, 2021.

[8] Voir, Emmanuel Gaillard Dialogue des ordres juridiques : ordre juridique arbitral et ordres juridiques étatiques, Revue de l'arbitrage, 2018, n° 3, p. 493 et s.

[9] Voir, notamment, Hilmarton, Cour de Cassation Civ. 1ère, 23 mars 1994, https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007032023/ et Putrabali, Cour de Cassation Civ. 1ère, 29 juin 2007, https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/premiere_chambre_civile_568/arret_n_10607.html dernier accès le 17 juin 2021.

[10] Voir, Emmanuel Gaillard, L'exécution des peines annulées dans leur pays d'origine, Journal du Droit International, n° 3, 1998, p. 645 et s.

[11] Voir, le professeur Jean-Baptiste Racine, dans son hommage à Emmanuel Gaillard dans le Journal du Droit International, n° 2, 2021.

[12] Voir, Emmanuel Gaillard Dialogue des ordres juridiques : ordre juridique arbitral et ordres juridiques étatiques, Revue de l'arbitrage, 2028, n° 3, p. 493 et s.

[13] Voir, Emmanuel Gaillard et Benjamin Siino, Enforcement under the New York Convention, in The Guide on Challenging and Enforcing Arbitration Awards, 2nd Edition, May 2021, Edited by Emmanuel Gaillard, Gordon E Kaiser and Benjamin Siino.

[14] Voir, le professeur Thomas Clay dans son hommage à Emmanuel Gaillard, 8 avril 2021, disponible sur https://www.leclubdesjuristes.com/hommage/in-memoriam-emmanuel-gaillard-1952-2021/ dernier accès le 17 juin 2021.

[15] Voir, le professeur Pierre Mayer dans son hommage à Emmanuel Gaillard, 3 avril 2021, disponible sur https://www.leclubdesjuristes.com/hommage/disparition-demmanuel-gaillard-une-immense-perte-par-pierre-mayer/ dernier accès le 17 juin 2021.

[16] Voir, Fouchard Gaillard Goldman on International Commercial Arbitration, 1999, paras. 1443 et suivants.

[17] Voir, Professeur Jean Baptiste Racine, ibid, se référant à Emmanuel Gaillard dans Trente ans de Lex Mercatoria. Pour une application sélective de la méthode des principes généraux du droit, Journal du Droit International, 1995.

[18] Voir, Fouchard Gaillard Goldman on International Commercial Arbitration, 1999, para. 1499.

[19] Voir, Professeur Pierre Mayer, ibid.

[20] Voir les contributions de mes anciens collègues de Shearman & Sterling, Fernando Mantilla-Serrano et Maude Lebois, dans Kluwer Arbitration Blog, 16 avril 2021, disponible à l'adresse http://arbitrationblog.kluwerarbitration.com/2021/04/16/a-tribute-to-emmanuel-gaillard/, dernier accès le 17 juin 2021.

[Christophe Dugué est unavocat au barreau de Paris, actuellement arbitre international indépendant, praticien de l'arbitrage international qui a passé 17 ans de sa carrière chez Shearman & Sterling (qu'il a quitté en janvier 2008) aux côtés d'Emmanuel Gaillard et a été pendant 10 ans associé du groupe d'arbitrage international de Shearman & Sterling dirigé par Emmanuel Gaillard. Christophe Dugué peut être contacté à l'adresse suivante : https://www.christophe-dugue-law.com/.


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